La Révision pour Imprévision en Droit Égyptien

I. Convergence et divergence entre le droit égyptien et français

Alors que le principe de l’intangibilité du contrat en droit civil français interdit toute ingérence du juge pour adapter ou réviser le contrat, dévoilant une hostilité totale vers la révision judiciaire du contrat quelle qu’en soit la raison, le Code civil égyptien a compris dans ses provisions un texte permettant expressément la prévision judiciaire pour imprévision.
En France, la Cour de cassation affirmait par un arrêt de principe du 6 mars 1876, dit arrêt de Craponne, que le contrat état la loi des parties, donc il ne peut pas être modifié par le juge quels qu’en soient les motifs. « Celui-ci ne peut ainsi, sous prétexte d’équité, modifier les clauses contractuelles précises stipulées par les contractants ». Cette solution est fermement maintenue par la jurisprudence française en dépit de critiques rigoureuses de la doctrine majoritaire.
Sur cette solution défendue durablement de la jurisprudence commente Bénédicte Fauvarque-Cosson qu’ « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, enseignait Héraclite, mais on se baigne toujours dans les eaux calmes du Canal de Craponne ».

Il faut rappeler que le droit français n’ait pas seulement inamical avec la théorie de l’imprévision mais plutôt avec la notion plénière de révision judiciaire du contrat quelle qu’en soit la raison. Ainsi en est-il, le cas de lésion quand un contrat se produit inéquitable lors du sa conclusion, le droit français dénie généralement toute emprise à la révision.

Par exemple, dans un arrêt, relativement, récent du 16 mars 2004, la première chambre civile de la Cour de cassation a affirmé que le contrat qui tire profit de déséquilibres des prestations contractuelles, existant dès la conclusion du contrat, ne peut pas voir, au nom de l’exigence de la bonne foi, sa responsabilité engagée s’il refuse de renégocier le contrat lésionnaire.

A l’inverse, l’imprévision est adoptée incontestablement de la jurisprudence administrative française au point que Mathias Latina dans son ouvrage électronique Déclination de la force obligatoire du contrat parle du « droit privé du contrat, par opposition des droits public des contrats ou droit administratif des contrats ».

S’agissant de l’Égypte, comme la jurisprudence administrative française, le CE en égyptien adopte constamment la théorie de l’imprévision aux contrats administratifs dès sa création en 1946, spécialement à la suite de la promulgation de la loi 9-1949. Mais contrairement à la jurisprudence civile française, la jurisprudence civile égyptienne favorisait la théorie de l’imprévision dès la promulgation du nouveau Code civil en 1948.
Selon l’article 147 l’alinéa 2 de ce Code civil égyptien, « néanmoins, en cas des circonstances exceptionnels, généraux et imprévus, rendant l’exécution de l’obligation n’est en effet pas impossible mais si onéreuse que le débiteur deviendrait risqué d’une perte excessive. Il est permis au juge, selon l’environnement nouveau du contrat, et en confrontant entre l’intérêt de l’une et l’autre des parties, de réduire l’obligation onéreuse ».
En fait, la chose n’était pas toujours pareil, la jurisprudence égyptienne avant 1948 poursuivait scrupuleusement la jurisprudence de la Cour de cassation française.

II. L’encadrement de l’intangibilité du contrat

Dans le cadre de l’article 147 du Nouveau Code civil, le législateur égyptien a, à la fois, réunit le principe de l’intangibilité du contrat (alinéa 1) et la possibilité de réviser le contrat pour l’imprévision (alinéa 2).
Au terme l’article 147 alinéa 1 du Nouveau Code civil, « le contrat tient lieu de loi à ceux qui l’ont fait. Il ne peut être révoqué ou modifié que par un accord des parties, ou pour les causes que la loi autorise ».
Une comparaison rapide entre ce texte et le texte de l’article 1134 alinéas 1 du Code civil français indique qu’ils sont, presque, assimilés. Celle-ci prévoit « les conventions légalement formées tiennent lieu de la loi à ceux qui les ont fait », utilisant le terme convention au lieu du contrat, que ce ne signifie rien d’importance, puisque les deux systèmes juridiques adoptent la même définition du contrat comme « une convention ».

Bien que le Code civil égyptien ne comporte aucune définition du contrat assimilé à l’article 1101 du Code civil français, la doctrine et la jurisprudence égyptiennes adoptent, unanimement, la même définition donnant peu d’importance à la distinction classique entre le contrat et la convention.
Préalablement, l’avant-projet du Code civil égyptien comportait l’article 122 qui donnait lieu à une définition du contrat proche de l’article 1101 du Code civil français, en prévoyant « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’engagent à établir, modifier ou révoquer un lien juridique ». Par ce texte, les rédacteurs du projet avaient une vocation d’éliminer toute distinction possible entre le contrat et la convention.

De toute façon, le Code civil égyptien reste fidèle à cette notion alors même que cet article avait été abandonné du projet final de la loi.

Probablement vaut-il mieux synthétiser conjointement l’alinéa 1er de l’article 147 avec alinéa 1er de l’article 148 du Code civil pour donner lieu aux mêmes conséquences résultant de l’article 1134 du Code civil français, comme suit :
 Alinéa 1er de l’article 147 : « le contrat tient lieu de loi à ceux qui l’ont fait. Il ne peut être révoqué ou modifié que par un accord des partie, ou pour les causes que la loi autorise ».
 Alinéa 1er de l’article 148 : « le contrat doit être exécuté en conformité à son contenu et d’une manière compatible avec l’exigence de bonne foi ».

Dès lors les deux 1ers alinéas de ces deux articles font fonction des mêmes dispositions de l’article 1134 du Code civil français.

En conséquence, le contenu du fondement de la force obligatoire en droit français et égyptien est semblable, se constituant en trois règles principales : l’exécution du contrat de bonne foi, l’impossibilité d’une modification unilatérale du contrat et l’impossibilité d’une révocation unilatérale de celui-ci. Par ailleurs, les deux systèmes juridiques sont divergents en ce qui concerne la portée du second résultant du principe de la force obligatoire.

III. Le contenu de révision pour imprévision en droit civil égyptien

Généralement, tous les contrats à durée, civils ou administratives, au droit égyptien, ne s’échappent pas du champ de prévision pour imprévision puisque le temps y constitue l’élément essentiel, en supposant que les circonstances imprévues survient postérieure de la formation du contrat en attendant ou en cours de son exécutions.

La Cour de cassation égyptienne énonce, constamment, (ex : Cassation, pourvoi civ 0240, 20 décembre 1962, année judiciaire 27 ; pourvoi civ 0248, 18 février 1965) que l’article 147/2 du Code civil exprime, généralement, une théorie de l’imprévision qui s’étend à tous les contrats à durée lorsque l’exécution devient exagérément onéreuse à la suite de la survenance d’un événement imprévue. Vu que le temps séparant la formation du contrat et son exécution impose un besoin à la protection juridique à faveur du débiteur contre les évènements imprévus. Celle-ci, selon la même Cour, lui a été accordée par le législateur sous le contrôle du juge qui s’engagera d’apprécier les circonstances, la gravité du déséquilibre et la nécessité d’adapter le contrat sans compromettre les intérêts du créancier.

S’agissant le pouvoir du juge, il importe de noter que son rôle d’adaptation s’étend seulement aux obligations inexécutées tandis que celles qui sont déjà exécutées avant la survenance des circonstances imprévues sont éteintes, et dès lors le juge ne peut plus les ranimer (ex : Cassation, pourvoi civ. 0502, 09 juin 1975, année judiciaire 39).

Toutefois, l’ingérence du juge suppose la réunion de deux condition : la survenance d’évènements « exceptionnels, généraux et imprévus » et ceux-ci doivent rendre « l’exécution de l’obligation n’est en effet pas impossible mais si onéreuse que le débiteur deviendrait risqué d’une perte excessive ».
Vraisemblablement, l’exceptionnalité et l’imprévisibilité sont amalgamées tant que l’évènement imprévu est certainement exceptionnel. Mais elles sont divergentes considérant que l’évènement exceptionnel ne soit forcément pas imprévu, attendu que l’exceptionnalité peut référer à la rareté qui peut demeurer ordinaire. Ainsi, le déluge d’une rivière chaque année dans un temps précise est réputé exceptionnel mais non imprévu sauf s’il arrive soudain dans un temps fortuit.

En plus, la généralité exigée par le texte signifie que la circonstance imprévue soit commune et non particulière au débiteur. Par conséquent, la maladie de celui-ci ne sera pas considérée générale sauf si elle était une conséquence d’une épidémie.
Dans le même sens, la Cour de cassation, dans un arrêt historique au 1964, considérait comme évènement imprévu exigeant la mise en œuvre de la révision pour imprévision, une réduction importante du prix des terrains à la suite de promulgation d’une loi de réforme agricole en 1952 conduisant à l’impuissance des plusieurs de acquéreurs de s’acquitter de leurs obligations (pourvoi civ 0187 du 02 juillet 1964, année judiciaire 29).

Il convient de préciser que même si le législateur abandonnait la mention de l’irrésistibilité comme une condition constitutive de l’imprévision, la jurisprudence y mettait constamment l’accent dans ses arrêts depuis les années cinquante de 20ème siècle.

S’agissant la portée du déséquilibre justifiant l’intervention du juge, les circonstances imprévues doivent, selon le texte de l’article 147 al 2 du Code civil, conduire à alourdir excessivement l’obligation sur les épaules du débiteur sans arriver à l’impossibilité tant que celle-ci soit une cause d’extinction de l’obligation et non d’adaptation.

En dernier étape, la réunion des conditions de la mise en œuvre de l’imprévision ne donne pas carte blanche au juge de changer, sous le contexte d’équité, la logique d’équilibre initial consenti des contractants. Le juge est, selon le texte de l’article 147/2 du Code civil, restreint par l’exigence de respecter l’équilibre auquel les parties ont consenti lors la formation du contrat et de ne pas compromettre les intérêts du créancier. Celui-ci n’a, en effet, comme fonction que de réparer l’équilibre primitive et de ne pas inventer un nouveau.
Par conséquent, le juge ne doit pas chercher de reconstruire la structure contractuelle mais la rendre équilibrée selon son état initial lors la conclusion. Pour cela, le juge ne répartit pas la perte égalitaire aux contractants mais il doit commencer par faire subir au débiteur la perte normale et prévue, ensuite, il distribue la perte excessive et imprévue sur les contractants afin que l’équilibre soit rétabli.

Pour que le juge rattrape l’équilibre du contrat, il a trois possibilités : la réduction de l’obligation du débiteur, l’augmentation de celle du créancier ou l’octroi d’un délai de grâce au débiteur. En tout cas, le juge ne peux pas compromettre les intérêts du créancier à faveur du débiteur, mais il faut, tenu compte de la situation du débiteur, considérer les besoin et les intérêts de deux parties adoptant leur logique contractuelle.

Enfin, le législateur égyptien considérait manifestement que l’imprévision judiciaire du contrat pour imprévision représente une exception de la force obligatoire du contrat, en conséquence, il dispose que l’intervention du juge de prévision pour l’imprévision est fondamentalement pour protéger la force obligatoire du contrat sans aucun changer de la logique créée par les contractants.

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